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par CM Editor
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Fatih YANIK

Pourquoi de nombreuses personnes ont-elles soudainement cessé de manger du poisson ?

Pour quelles raisons un documentaire sur la pêche commerciale recommande-t-il aux gens de ne plus manger de fruits de mer ?

Dans cet article

– Plus d’un demi-million de « tonnes de filets, palangres, nasses, pièges, casiers de pêche en plastique, etc. utilisés pour la pêche commerciale sont abandonnés et rejetés en mer » chaque année.

-Sont servis à travers le monde, dans les restaurants, des plats de luxe perpétuant la pratique du shark finning (pêche aux ailerons) et entraînant la mort d’environ 73 millions de requins chaque année, rien que pour leurs ailerons.

-La pêche reste un moyen équilibré pour nourrir les êtres humains dans la mesure où aucune souffrance inutile n’est infligé aux espèces marines, la surpêche n’est pas pratiquée et l’environnement est respecté, ainsi que les normes de réglementation.

Pourquoi de nombreuses personnes ont-elles soudainement cessé de manger du poisson ? Les équipements de pêche rejetés sont-ils le plus grand pollueur de nos océans ? (Alerte au spoiler : OUI !) (2 & 16). Seaspiracy, un documentaire de Netflix sur la pêche commerciale et son impact sur la biodiversité des océans, a suscité le soutien de célébrités dans la cause et, toujours en même sens, de l’indignation de la part des internautes. Tom Brady, considéré comme le meilleur joueur de foot de tous les temps, a qualifié le documentaire de must-watch (à voir absolument). La source de cette immense réaction émotionnelle se trouve dans les pratiques de pêche irresponsables et illicites, détruisant la vie marine et les océans en l’absence de l’encadrement légal suffisant, et ce aux profits des multinationales cupides. Anticipant des horribles conséquences de la persévération des pratiques actuelles de l’industrie, le réalisateur du documentaire interroge le public sur les habitudes et lui demande de cesser de consommer du poisson afin de sauver les écosystèmes marins.

Les autres ont affirmé que certains chiffres présentés dans le film étaient erronés (13). En outre, il est difficile de savoir comment le documentaire influencera la consommation mondiale de produits de la mer, étant donné qu’il est peu facile pour un individu de renoncer à son régime alimentaire habituel de très longtemps.  Non seulement ce raisonnement est illusoire mais également il nous éloigne des véritables responsables desdits méfaits, à savoir l’ensemble de l’industrie de la pêche commerciale. En se tournant vers le véganisme, on détourne la responsabilité d’une industrie corrompue, parfois criminelle, pour culpabiliser les individus, en l’occurrence, les 200 millions d’abonnés de Netflix. Le film aurait pu avoir beaucoup plus de poids si la conclusion s’était concentrée sur le renforcement des réglementations et, par le biais de discours civils et de pressions juridiques, sur la mise en cause de la responsabilité des entreprises de pêche commerciale pour les préjudices qu’elles provoquent.

Plus d’un demi-million de « tonnes de filets, palangres, nasses, pièges, casiers de pêche en plastique, etc. utilisés pour la pêche commerciale sont abandonnés et rejetés en mer » chaque année. Bien qu’une petite partie de ce phénomène soit due à la surpopulation des pêcheries, le fait de se débarrasser de ses déchets a surtout pour but de dissimuler des pratiques illicites (2). Les instruments modernes de pêche commerciale sont très robustes et performants, parfois un peu trop pour les écosystèmes puisque les poissons et les oiseaux qui ne sont pas ciblés sont très souvent pris dans les filets. Il est de question de bycatch, prises accessoires, lorsque des espèces non intentionnelles ou de faible valeur commerciale sont capturées puis relâchées dans l’océan.  À titre d’exemple, dans le cadre de la pêche commerciale, plus de 300 000 baleines et dauphins sont tués chaque année en tant que prises accessoires (17). Avant que ces baleines et ces dauphins soient relâchés dans l’océan, ils sont déjà mourants ou morts. Pour reconnaître le rôle essentiel que jouent les baleines dans notre fragile écosystème, il n’est pas nécessaire d’être un militant passionné de la cause animale, comme il s’agit d’une question de conscience. Des nutriments précieux comme le fer, l’azote et le phosphore présents dans les panaches fécaux des baleines stimulent la production de phytoplancton, qui est à la base de nombreuses chaînes alimentaires marines. Le phytoplancton est crucialement important pour l’océan du fait de sa fonction de production d’énergie par photosynthèse. Cette énergie est ensuite distribuée à l’ensemble de l’écosystème marin lorsque le phytoplancton est dévoré. À titre d’exemple, le phytoplancton est absorbé par le zooplancton, qui constitue une source de nutriments essentielle pour de nombreuses espèces telles que le krill, les poissons, les mammifères marins et d’autres invertébrés marins (3). The Animal Welfare Institute, institut de protection des animaux, propose que les baleines soient « entièrement protégées de la chasse commerciale et « scientifique », des prises accessoires dans les instruments de pêche et des autres menaces qui pèsent sur leur survie, afin qu’elles puissent jouer leur rôle en contribuant à la survie de la planète et de l’humanité » (3). 

Quel est le remède ? Il existe des solutions confirmées, telles que  l’adaptation instruments de pêche de manière à ce que moins d’espèces non ciblées soient capturées ou puissent s’échapper. Dans de nombreux cas, ces adaptations sont simples et peu coûteuses. Par exemple, les hameçons en forme de « J » tuent des espèces non ciblées comme les tortues étant donné qu’ils provoquent des hémorragies internes ou la suffocation lorsqu’ils sont mâchés. Les hameçons circulaires, quant à eux, ne sont efficaces que contre les espèces cibles telles que le thon et l’espadon. Ces solutions ne sont malheureusement pas largement appliquées, principalement en raison de préoccupations liées à la rentabilité et à l’absence de réglementation, ainsi qu’au manque de financement de la recherche et du développement (4). En outre, la majeure partie de l’industrie de la pêche commerciale n’est pas motivée par la prévention de la mortalité inutile des animaux sauvages, mais plutôt par les profits. Au-delà, il est difficile de faire respecter les réglementations, les navires de pêche étant seuls au large pendant la plus grande partie de leur temps de navigation. Cependant, si nous voulons préserver les produits de la mer pour les générations futures, nous devons revoir et adapter la manière dont nous traitons l’océan et ses habitants.

Un autre exemple de gâchis dans l’industrie de la pêche commerciale est lié à la « demande constante de soupe d’ailerons de requins, de boulettes et d’autres plats à base d’ailerons de requins », comme l’explique Monsieur Tabrizi dans son documentaire. Le documentaire montre que ont servis à travers le monde, dans les restaurants, des plats de luxe perpétuant la pratique du shark finning (pêche aux ailerons) et entraînant la mort d’environ 73 millions de requins chaque année, rien que pour leurs ailerons. En raison de la valeur commerciale élevée des ailerons de requin et, au contraire, de la valeur relativement faible de la viande de requin, les pêcheurs ne prélèvent souvent que les ailerons et abandonnent le reste du corps, une autre pratique extrêmement cruelle et néfaste. Habituellement, les requins sont découpés vivants, c’est-à-dire qu’ils sont amenés à bord des navires de pêche pour que leurs ailerons soient coupés, puis rejetés à la mer, où ils suffoquent, se vident de leur sang ou sont dévorés par d’autres animaux. Il est effrayant de constater que les animaux sont conscients pendant une grande partie de cette épreuve (5). Cette situation affecte également l’écosystème marin dans son ensemble, car les requins sont des prédateurs de premier plan dans de nombreux écosystèmes et leur disparition entraîne des « déséquilibres graves », selon the Animal Welfare Institute (5). Les requins étant des prédateurs au sommet, ils adaptent leur régime alimentaire en fonction de ce qui est disponible. De ce fait, l’on attribue aux requins le mérite d’empêcher la monopolisation d’une espèce par une autre, garantissant ainsi la biodiversité (18).

Heureusement, il existe des solutions et des entreprises se disent prêtes à agir. Thai Union, le plus grand producteur de thon au monde (6), s’engage en faveur de produits de la mer plus durables et socialement responsables. Depuis 2017, ils réduisent les dispositifs de concentration de poissons, qui sont des dispositifs flottants et qui entraînent la mort tout à fait évitable de requins, de tortues et de thons juvéniles. Ils se sont également engagés à garantir la présence d’observateurs indépendants à bord de tous les navires de pêche afin de veiller au respect des normes juridiques et éthiques. Étant donné que les palangriers sont exposés à des risques en termes de prises accessoires d’oiseaux de mer, de tortues et de requins, ils passent à des techniques de pêche à la canne ou à la traîne (7). Ces techniques étant plus exigeantes en main-d’œuvre, elles sont également susceptibles de créer davantage d’emplois. Toutefois, la plupart des entreprises y verront probablement un coût supplémentaire pour leurs activités si elles n’investissent pas dans les avantages à long terme de la réforme de l’industrie. Outre la mise en place de diverses réformes, il sera tout aussi essentiel de changer la culture entourant l’industrie de la pêche afin de susciter une adhésion à long terme (8). Ces réformes sont cruciales pour assurer un avenir durable aux générations futures.

L’industrie de la pêche commerciale est également liée au crime organisé, ce qui est très nocif pour l’engagement global en faveur d’une pêche durable et pour la santé de la vie marine (9). « Dans une étude récente, plus de la moitié des pays (30 pays pratiquant la pêche intensive sur 53) évalués pour leur conformité à la pêche illicite et non déclarée dans le Code de conduite pour une pêche responsable de Food and Agriculture Organization of the United Nations (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) se sont vu attribuer des notes insuffisantes (moins de 4 sur 10 » (10). La pêche illicite détruit des écosystèmes qui rendront le monde inhabitable pour les générations futures et « ne respecte pas les mesures nationales et internationales visant à réduire les prises accessoires et à atténuer la mortalité accidentelle d’animaux marins tels que les requins, les tortues, les oiseaux et les mammifères » (10).

Les chefs religieux sont également très impliqués dans la conservation des océans. Le Dalaï Lama a souligné l’importance de la non-violence tout en exprimant son soutien à l’objectif de la Sea Shepherd Conservation Society d’empêcher les pêcheurs de nuire aux baleines (11). « Bal Tash’hit » est l’interdiction juive du gaspillage et de la destruction et est considéré comme un principe éthique par les écologistes juifs. L’interdiction du gaspillage existe également dans le christianisme et l’islam. Ces points de vue offrent un terrain commun à l’Orient et à l’Occident (12).

La réglementation par le biais de la certification est considérée comme une solution au manque de contrôle de la conformité aux normes dans de nombreux pays, mais cela nécessite encore un financement, comme dans l’exemple de Thai Union. Certains militants sont favorables à l’abstention de consommation de poisson, mais dans une déclaration, Oceana, une ONG qui milite pour la protection des océans, a affirmé que « choisir de s’abstenir de consommer des produits de la mer n’est pas un choix réaliste pour les centaines de millions de personnes dans le monde qui dépendent des pêcheries côtières, dont beaucoup sont également confrontées à la pauvreté, à la faim et à la malnutrition » (13).

La pêche reste un moyen équilibré pour nourrir les êtres humains dans la mesure où aucune souffrance inutile n’est infligé aux espèces marines, la surpêche n’est pas pratiquée et l’environnement est respecté, ainsi que les normes de réglementation. Hélas, ces règles ne sont généralement pas respectées par l’industrie de la pêche dans le monde entier. Quoi qu’il en soit, au lieu de supprimer le poisson de notre alimentation, il me semble que nous devrions faire pression sur les gouvernements et l’industrie de la pêche, par des moyens juridiques et civiques, pour qu’ils respectent les lignes directrices établies par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (14). Espérons que la pêche sera durable et que les écosystèmes marins resteront intacts pour les générations futures. 

*Jeu de mot mélangeant le mot conspiracy (la conspiration) et sea (la mer)

Sources

https://www.gentside.co.uk/netflix/seaspiracy-has-convinced-thousands-of-viewers-to-stop-eating-fish_art7131.html

https://www.theguardian.com/environment/2019/nov/06/dumped-fishing-gear-is-biggest-plastic-polluter-in-ocean-finds-report

https://awionline.org/awi-quarterly/fall-2017/whale-effect-ocean-life-ecological-and-economic-value-cetaceans

https://www.worldwildlife.org/threats/bycatch

https://awionline.org/content/shark-finning

https://vegconomist.com/companies-and-portraits/tides-turn-as-worlds-biggest-tuna-processor-recognises-that-future-of-seafood-is-plant-based-and-cell-based

https://www.thaiunion.com/en/newsroom/press-release/505/thai-union-commits-to-more-sustainable-socially-responsible-seafood

https://oceana.org/blog/attention-shoppers-pole-and-line-today%E2%80%99s-eco-friendliest-label-canned-tuna

https://oceanpanel.org/sites/default/files/2020-08/Organised%20Crime%20in%20the%20Fisheries%20Sector%20Full%20Paper%20Final.pdf

[26, Pitcher TJ, Pramod G, Kalikoski D, Short K (2008) Safe Conduct? Twelve Years Fishing under the UN Code. Gland: WWF.]

https://www.seashepherd.org.uk/news-and-commentary/news/sea-shepherd-acknowledges-the-guidance-of-his-holiness-the-dalai-lama.html

https://yorkspace.library.yorku.ca/xmlui/bitstream/handle/10315/28248/Yoreh_Tanhum_S_2014_PhD.pdf?sequence=2&isAllowed=y

https://www.theguardian.com/environment/2021/mar/31/seaspiracy-netflix-documentary-accused-of-misrepresentation-by-participants

https://www.fao.org/3/ba0022t/ba0022t.pdf)(https://www.fao.org/3/i0816t/i0816t.pdf

Seaspiracy, disponible sur Netflix et vivement recommandé :

https://www.netflix.com/title/81014008

https://www.seashepherdglobal.org/latest-news/marine-debris-plastic-fishing-gear

https://www.forksoverknives.com/wellness/seaspiracy-viral-new-netflix-documentary-5-takeaways-fishing

https://envhumanities.sites.gettysburg.edu/es225b-spring19/public-perception-of-the-great-white-shark/ecological-importance-of-the-great-white-shark

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