M. Fethullah Gulen
Durant une grande partie des siècles derniers, notre société moderne s’est égarée. Alors que chacun est en quête d’une chose ou d’une autre, nous recherchons notre propre âme. Si nous pouvons emprunter une voie durable pour poursuivre cette recherche, alors nous pouvons espérer que les jours où nous serons ramenés à nous-mêmes sont très proches ; les jours où nous nous tournerons vers notre vraie nature et regagnerons les meilleures de nos valeurs.
Les deux dernières générations, qui ont traversé une période des plus malheureuses, ont renoncé à leur foyer chaleureux et se sont lancées dans des quêtes particulières. Elles se sont réfugiées dans un monde de « matière », ou plutôt de machines. Elles sont tombées en proie à différents fantasmes, se sont laissé aller aux délires les plus fous, et ont passé leur vie au milieu de la folie. Parfois, elles se transformaient en psychopathes, et leurs pensées étaient tachées de sang. Ce désordre a continué jusqu’à nos jours, et ces péchés brutaux et incessants ne sont plus supportables.
Aujourd’hui, cependant, elles sont de plus en plus conscientes du vide dans lequel elles se trouvent et ont commencé — ne serait-ce qu’un peu — à ouvrir les portes à d’autres pensées. Elles ont commencé à parler de foi ; elles ont même commencé à accorder une certaine valeur au passé et à ses sagesses. En effet, bien qu’hier encore elles ne faisaient aucune mention de Dieu ou de Ses messagers, et qu’elles insultaient les croyants et maudissaient nos valeurs historiques, aujourd’hui elles ornent nombre de leurs pensées d’âme et de sens, tissant leurs paroles avec les fils de soie de la métaphysique. Pour que ce changement perdure avec cette couleur et cette harmonie que nous voulons, il importe que ces jours divins se poursuivent sans interruption pendant un autre quart de siècle. Après, peut-être pourrons-nous espérer un avenir prospère.
À ce jour, ceux qui ont perdu leur pouvoir spirituel se sont perdus, à l’image de graines qui se seraient décomposées dans un sol infertile. En effet, tout ce qui s’est passé à ce jour ne peut être défait, et beaucoup ont été sacrifiés, l’honneur a été détruit, la décence a été mise en lambeaux et notre innocence et notre pureté ont été ébranlées, en punition pour avoir mal interprété l’Histoire. Désormais, nous devons revoir nos intentions et souhaiter le meilleur. Nous devons être toujours vigilants et veiller à ne laisser aucun vide dans nos sentiments, nos pensées ou notre logique, vide qui pourrait nous empêcher de servir les autres, de sorte que notre avenir ne soit pas trempé de sang et de larmes. Lorsque les ouragans s’atténuent quelque peu, et que des signes apparaissent à notre horizon, nous devons profiter de toutes les opportunités possibles pour insuffler la vie, même aux moments les plus ternes, afin qu’ils deviennent la voix du bon sens. Nous commençons à peine à éprouver le mystère, la magie et l’infinité de ce « livre de l’existence » et de tout ce qu’il contient et que donne à voir l’univers. Nous devons faire preuve d’une patience active, de vigilance et de prudence de sorte à ne pas être retenus, ni éloignés de ce qui est proche jusqu’au jour où le sens et la sagesse trouvés dans ce « livre de l’existence » deviendront, grâce aux sciences, évidents, nous permettant ainsi de connaître le but de nos vies. Nous devons faire attention à ne subir aucune perte spirituelle ou morale sur ce qui semble être une voie gagnante.
En effet, dans cette période apparemment calme mais active, alors que les jours divins promis ont commencé à poindre, égrenant leurs couleurs, nous devons pétrir la pâte d’esprit et de sens qui façonnera la génération éclairée qui représente l’avenir. Ils porteront cet esprit sur leurs épaules avec leur propre blason fait de teintes et de motifs qui leur sont propres. Nous devons pétrir cette pâte dans nos vasques sûres et lui donner la meilleure forme possible afin que notre société puisse connaître de nouvelles formes vives dotées d’un riche héritage de pensée et de conscience de l’Histoire. Alors que nous nous efforçons, en tant que société, de mener à bien cette tâche d’une importance majeure, il y aura ceux qui, sciemment ou non, essaieront de s’opposer à ces efforts vitaux, sans parler de ceux qui sous-estimeront, minimiseront et même rejetteront complètement nos efforts. Face à tous ces obstacles, d’une part, nous nous appliquerons grandement à renforcer notre libre arbitre en asséchant les racines de nos mauvais penchants tout en élevant notre capacité à faire le bien ; d’autre part, nous nous attacherons à ne laisser aucun vide intellectuel ou logique dans nos plans et projets tandis que nous nous efforçons d’avancer avec une intention pure. Nous croyons que parce que notre but ultime est l’assentiment de Dieu et que sur ce chemin nos vivres sont la foi et la sincérité, Dieu nous élèvera en nous accordant dans notre progression des avances de miséricorde et de faveur. Où que nous nous trouvions, nous serons nourris par Ses manifestations.
Oui, tandis que nous fermons les yeux et que nous nous remplissons de la joie de servir Dieu Tout-Puissant, les graines que nous répandons aux quatre coins du monde trouveront certainement vie un jour, par Sa volonté. Même ceux que nous pensons avoir été perdus se balanceront comme des épis toujours en fleurs, et ils chanteront la mélodie de leur bonne fortune quand la saison sera propice.
Avec la faveur et la miséricorde de Dieu, nous marcherons vers l’avenir avec « la foi et la connaissance » en chefs de file, car « la pensée et l’adoration » seront étroitement liées. Nous ferons de notre mieux pour nous conformer aux « causes » et nous soumettre à Dieu étroitement unis et dans une pleine acceptation de Sa volonté (tawakkul). Notre espérance sera la source de notre action, et notre patience suivra juste derrière, telle un compagnon de confiance. Même les rétributions seront considérées comme une bénédiction, et chaque bénédiction — pareille à une avance inattendue — renvoie à la fiabilité de la source véritable de toute chose.
Nous marcherons, et Il nous guidera et nous protégera constamment et jamais ne nous abandonnera tout au long de notre voyage. Nous marcherons, alors que la lumière des ondes des mondes éternels se manifestera dans nos yeux, tandis que nos oreilles auront la capacité de recevoir sans erreur les mots les plus vrais, et nos cœurs battront d’inspirations de sagesse. La chose peut être possible à condition de maintenir notre relation à Lui en tant qu’il est notre Créateur, nous qui sommes créés, et de ne point abandonner Ses aimables faveurs au profit de la « familiarité » et de la monotonie, car cela peut faire disparaître « les couleurs et la fraîcheur », comme le font les vents de l’automne.
Nous nous éloignerons des masses léthargiques d’aujourd’hui afin de découvrir les générations éclairées qui offrent bien des promesses pour un monde absolument nouveau. Nous nous éloignerons d’eux sans ternir l’image de personne, sans calomnier personne, mais en planifiant nos pensées en fonction de nos actions et en exécutant nos actions comme le font les sauveteurs pour que les autres puissent vivre. Nous ferons cela pour prouver qu’il existe vraiment des êtres de passage qui n’ont sur eux ni sang ni crasse, et à qui la vengeance et la haine sont étrangères. Nous continuerons à marcher sans trébucher en chemin et ne serons gênés par aucun obstacle. Nous ne prétendons pas, et ne pouvons pas prétendre, pardonner les mille et un cas de meurtre et de brigandage dont nous avons été témoins. Lorsque les droits du public et les lois sont en jeu, le sentiment de pardon cède la place au sentiment de justice, et le mode de vie rejette tout comportement inhumain. Oui, il est nécessaire pour le respect de l’humanité de faire du bien — et des ponts qui y mènent — des avenues, et de récompenser ceux qui veulent atteindre cette destination. De même, le respect de l’être humain exige-t-il également de prévenir le mal et de faire obstacle à ceux qui s’y livrent. En effet, la bonté doit toujours être reconnue et louée, et, dans le même temps, les gens doivent être mis en garde contre les péchés, afin que personne ne puisse se soustraire à sa responsabilité en disant : « Ce n’est pas notre faute ; nous avons été poussés dans ces voies. »
Ceux qui pensent ainsi essaient en réalité de se cacher derrière pareilles vaines excuses pour échapper à la responsabilité de leur détresse et de leur misère actuelle. On peut de fait les décrire comme étant des âmes désorientées et déchues qui ne sont pas parvenues à apprécier et à comprendre la distinction de l’être humain. C’est un fait que ceux qui portent l’esprit de véritable humanité n’ont d’autre choix que d’assumer une partie de la responsabilité qui revient à la société dans laquelle eux aussi ont grandi et prospéré. Un tel sens des responsabilités est indissociable d’un esprit, d’une compréhension et d’une pensée proprement humains — pour ne pas mentionner le commandement et la volonté de Celui qui a doté l’être humain d’un tel fonctionnement. Tant que la conscience ne s’est pas complètement désintégrée, qu’elle ne s’est pas atrophiée, ou que la compréhension n’est pas abolie, il est inconcevable qu’un être humain néglige une telle responsabilité.
En termes de réflexion sur ce qu’est être véritablement humain, nous nous tenons responsables des accidents du présent, comme de la paix et de la sécurité du monde de demain. Quand nous parlons d’« être humain » et de « culture », nous voulons souligner une fois de plus la priorité de la « foi », qui est la première étape de la vraie liberté et l’unique source de lumière pour nous guider vers la destination finale.
En effet, la première phase et la plus haute priorité pour redonner aux générations hors de contrôle leur véritable forme humaine est d’ancrer la foi et tout ce qu’elle promet au plus profond de leur nature et de leur caractère, et d’assurer leur continuité. Le fait de leur expliquer les choses et de nourrir leurs âmes des aspects apparents et cachés de l’existence, en les imprégnant de la culture de la foi et en leur permettant d’embrasser toutes choses avec compassion, permettra de libérer les générations que nous n’avons pas réussi à garder sous contrôle et dont nous n’avons pu empêcher le délitement. Un esprit qui n’est pas purifié par la foi ne peut pas être complètement éloigné de la sauvagerie, ni éviter l’agression ou l’amour des autres comme le compromis avec eux, et, surtout, il ne peut commencer à atteindre les cieux. Il est inévitable pour une telle personne d’être entachée d’ambitions cupides et de vivre une vie pleine de rancune et de haine, et d’avoir le cœur noirci de crasse. En vérité, la foi permet à l’humain d’entendre, d’écouter et d’interpréter l’existence d’une manière complètement différente en imprégnant la connaissance et l’amour de l’éternel, en établissant une connexion avec toute l’existence, et en modérant la haine et les défauts. Il sauve une personne du malheur de la désorientation.
À l’heure actuelle, les générations de tous les horizons qui ont atteint des degrés aussi élevés de la foi, et donc — bien que d’une incidence faible encore — sont une promesse et un espoir pour l’avenir, doivent être imprégnées d’un zèle pour le service l’humanité, et d’un sentiment de responsabilité et d’exemption des promesses de gloire, de fortune ou de statut social. Ils doivent être encouragés à ne pas attendre de récompense afin qu’ils ne cèdent pas à l’idée d’obtenir le soutien d’un gouvernement, du public ou de centres de pouvoir et ne nourrissent pas outre mesure des espoirs de prospérité future. De cette façon, de solides ouvrages fleurissant avec la connaissance et la sagesse éclaireront les lanternes de nos pensées dans tous les coins, et nous ne serons pas retenus par certains désirs ou certaines ambitions. Au lieu de cela, nous continuerons, avec, dans nos âmes, des sentiments d’altruisme et de pureté, recherchant le bon vouloir et l’assentiment de Dieu, et conscients, toujours, qu’Il est celui qui nous emploie à ce service.
Le fait qu’un amour pour la Vérité divine ait, en soi, une grande importance est aussi quelque chose qui, assurément, devrait être souligné. La puissance qui se forme lorsque la lecture, la contemplation, l’étude et la recherche sont unies à l’amour de se relier à la vérité — pour ce seul fait qu’elle est la vérité — suffirait, je crois, à ouvrir les portes de l’univers tout entier. Pendant des siècles, alors que certaines nations se sont élevées vers le ciel par amour de la vérité, ne serait-ce que dans certains domaines, d’autres ont toujours été celles qui regardaient de loin, avec le désir et l’envie d’imiter leur succès. Elles l’ont accepté avec un soupir, regardant comme des esprits paralysés, liés par les chaînes qui enferment nos sentiments et nos pensées. Aujourd’hui, même si nous pouvons nous féliciter du fait que cette question importante est à tout le moins exprimée, syllabe à syllabe, par un certain groupe de personnes, il est encore difficile d’affirmer qu’elle est traitée dans l’esprit de la pensée scientifique véritable. Or nous avons besoin d’une véritable pensée scientifique qui ait, avec ses dimensions culturelles et éthiques, surmonté le barrage de la croyance en la vérité et qui éveillera dans nos âmes une pensée de transformation physique et spirituelle tournée vers les royaumes célestes. Le développement constant de la pensée, la transformation de la théorie en pratique et la promesse de progrès qu’une telle transformation contient n’ont jusqu’à présent été possibles, et ne seront possibles, que grâce à l’impulsion d’une telle pensée scientifique. La pensée scientifique véritable est ce qui est fondamental ; la science et la technique n’en étant, quant à elles, que les produits dérivés. Nous rendons témoignage aux nombreux individus de haut niveau, aux héros de la détermination, pour ces grandes performances et ces vies consacrées à cette cause.
Ceux qui reconstruiront l’avenir viendront de ces héros. Ils tourneront autour de ce monde étroit, contaminé, vaincu par l’adversité, pour construire un monde plus vaste, purifié et plus harmonieux qui nous rappellera les beautés célestes. Ils le feront dans la mesure où nous pourrons leur enseigner l’amour de la vérité, l’esprit de recherche et la subtilité du renouveau. Cela les élèvera à un niveau où ils seront capables de faire la distinction entre ce qui appartient et ce qui n’appartient pas aux racines de la spiritualité et du sens.
Alors que les générations qui ont été connectées à ces dynamiques et ont atteint l’amour de la vérité sont considérées comme les héros de leur propre peuple, les masses désorientées qui ont perdu leur âme et leur sens seront toujours considérées comme une source de honte et de déshonneur et assombriront l’avenir de notre société.
Nous nourrissons l’espoir que nos intellectuels qui occupent une position d’influence tireront parti des possibilités qui s’offrent à eux, prépareront les générations futures au trône des cœurs et transformeront les fosses de l’échec en zéniths de victoire.