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SAKINA-ITMI’NAN

par CM Editor
SAKINA-ITMI’NAN

Sérénité et contentement

M. Fethullah Gülen

Signifiant littéralement le calme, le silence, la stabilité, la solennité, la familiarité, l’affaissement des vagues et la tranquillité, sakina (la sérénité) est le contraire de la futilité, de l’agitation, de l’hésitation ou de l’indécision. Dans le langage du soufisme, la sérénité signifie qu’un cœur s’apaise progressivement après avoir fait l’expérience des dons de l’Invisible. Un tel cœur en repos s’attend toujours à ce que des brises viennent des royaumes de l’au-delà, et voyage donc dans un état d’itmi’nan (de tranquillité), toujours prudent et sûr de lui. Ce rang est aussi le début du rang de la certitude qui vient de la vision ou de l’observation. La confusion qui en résulte entre les dons issus de la connaissance et les dons « obtenus » par la clairvoyance obscurcit l’horizon de l’observation des vérités secrètes, donnant lieu à des conclusions erronées sur la réalité des choses.

La sérénité se présente parfois sous la forme de signes perceptibles ou imperceptibles ; à d’autres moments, elle apparaît si clairement que même les gens ordinaires peuvent l’identifier. Qu’elle soit     elle-même et ses signes ressemblent à un souffle spirituel soufflé à l’oreille de la conscience ou à une brise divine qui ne peut être perçue qu’avec beaucoup d’attention ; ou qu’elle apparaisse miraculeusement et si clairement que n’importe qui peut les voir, comme dans le cas des enfants d’Israël à l’époque du prophète Moïse, et dans le cas de Usayd ibn Khudayr[1], un compagnon du Prophète, à qui elle est apparue comme une vapeur alors qu’il lisait le Coran, la sérénité est une confirmation divine pour les croyants conscients de leur impuissance et de leur dénuement devant Dieu, et un moyen de gratitude et d’enthousiasme. C’est Dieu qui l’envoie, comme le déclare le verset : C’est Lui qui a fait descendre la sérénité dans les cœurs des croyants afin qu’ils ajoutent une foi à leur foi (48 :4).

La sérénité vient généralement renforcer la volonté des croyants, affirmer leur foi et les réconforter. Un croyant doué de sérénité n’est pas ébranlé par la peur, le chagrin ou l’anxiété du monde, et trouve la paix, l’intégrité et l’harmonie entre son monde intérieur et le monde extérieur. Une telle personne est digne, équilibrée, confiante, assurée et solennelle, maîtresse d’elle-même et prudente dans ses relations avec Dieu tout-puissant. L’égoïsme, la vanité et l’orgueil sont abandonnés ; tout don spirituel reçu est attribué à Dieu ; l’humilité et l’autodiscipline sont manifestées en Le remerciant ; toute insatisfaction et tout malaise sont attribués à une faiblesse personnelle et examinés à la lumière de l’autocritique.

Quant à l’itmi’nan (le contentement), il se définit comme la pleine satisfaction et l’état de repos complet sans aucune lacune majeure. C’est un état spirituel qui va au-delà de la sérénité. Si la sérénité est le début de l’affranchissement des connaissances théoriques et de l’éveil à la vérité, le contentement en est l’étape finale.

Les rangs ou stations de radiya (être satisfait de Dieu dans la résignation) et mardiya (être approuvé par Dieu) sont deux dimensions de la tranquillité appartenant aux croyants bons et vertueux et sont les profondeurs de la résignation. Les rangs de mulhama (être inspiré par Dieu) et de zakiya (être purifié par Dieu) sont deux autres degrés de tranquillité difficiles à percevoir, relatifs à ceux qui se rapprochent de Dieu. Les dons qui leur parviennent sont purs et abondants.

Certaines pensées et inclinations déplaisantes à Dieu peuvent apparaître dans des âmes sereines, tandis que seule une parfaite tranquillité est trouvée chez celles qui sont paisibles et au repos. Les cœurs paisibles recherchent toujours le bon plaisir ou l’approbation de Dieu, et « l’aiguille de la boussole » de leur conscience ne dévie jamais. La paix est un rang si élevé de certitude qu’une âme qui le traverse voit dans chaque station la vérité de : « Si, je désire rassurer mon cœur » (2 :260) et est récompensée par des dons. Où que se trouve le croyant, la brise de : « Ils n’auront aucune crainte et ils ne seront point affligés » (2 :62) est ressentie ; les bonnes nouvelles de : « Ne craignez rien et ne soyez pas affligés. Réjouissez-vous du Paradis qui vous était promis » (41 :30) sont entendues ; l’eau douce et vivifiante de : « N’est-ce point par l’évocation de Dieu que se tranquillisent les cœurs ? » (13 :28) est goûtée ; et la corporéité est vaincue.

La paix véritable est atteinte lorsque les croyants transcendent les causes et les moyens matériels. À ce stade, le voyage transnaturel de la raison prend fin, et les esprits sont libérés des anxiétés mondaines. Ici, les sentiments trouvent tout ce qu’ils recherchent et deviennent aussi profonds, vastes et paisibles qu’un océan calme. Ceux qui ont atteint ce rang trouvent leur plus grande quiétude dans la sensation de la présence divine. Ils prennent conscience de la Beauté et de la Grâce Divines dans leur cœur, se sentent attirés vers Lui pour se rapprocher de Lui, et réalisent que l’existence subsiste par l’Existence de Dieu, et que la parole n’existe que parce qu’Il a la Parole. À travers cette fenêtre ouverte, ils acquièrent, malgré leur finitude, la capacité de voir et d’entendre avec une amplitude extrêmement large. Dans le tourbillon des événements les plus complexes, où tout le monde est perplexe et hésitant, ces individus voyagent en toute sécurité et échappent à la tourmente. En plus d’être libéré des angoisses mondaines, un croyant dont le cœur est en paix accueille avec un sourire aussi bien la mort que les épreuves qui la suivent, et entend les compliments et les félicitations divines : « Ô toi, âme apaisée, retourne vers ton Seigneur, satisfaite et agréée ; entre donc parmi Mes serviteurs, et entre dans Mon Paradis ! » (89 :27-30). La mort est perçue comme l’aboutissement le plus agréable et le plus désiré de la vie. Lorsque sa vie se termine par la mort, il ou elle entend, comme l’a rapporté depuis la tombe d’Ibn ‘Abbas, à chaque étape traversée après la mort, les mêmes félicitations ou Décrets Divins : « Retourne vers ton Seigneur, satisfaite et agréée ; entre donc parmi Mes serviteurs, et entre dans Mon Paradis ! »

Ces personnes passent leur vie dans la tombe, sur les « rives » du Paradis, vivent le Rassemblement Suprême avec émerveillement et admiration, la Pesée Suprême des Actions des Hommes avec crainte et stupéfaction, traversent le Pont uniquement par nécessité, et atteignent enfin le Paradis, ultime demeure éternelle de ceux dont les cœurs sont apaisés ou ont trouvé la paix et la tranquillité. Pour une telle personne, ce monde est un Arafat[2] préparé sur le chemin menant au pardon éternel de Dieu. La vie terrestre est la veille de la fête, et l’autre vie est le jour de la fête.

Seigneur, accorde-nous une part de bien dans ce monde, et une part de bien dans l’au-delà, et préserve-nous du châtiment du Feu. Et répands Tes bénédictions et Ta paix sur notre maître Muhammad, le Prophète élu, ainsi que sur sa noble Famille et ses vertueux Compagnons.

Notes

1. Usayd ibn Khudayr a ressenti la présence d’une masse vaporeuse alors qu’il lisait le Coran, ce qui lui a procuré une grande exaltation. (NdT)

2. La plaine où les pèlerins musulmans séjournent pendant un certain temps à la veille de la fête du Sacrifice, constituant un pilier du pèlerinage. (NdT)

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