Le commandement Divin de proclamer l’Islam commence par un ordre sublime : Iqra’ ! Généralement traduit par « lis », ce mot signifie aussi «répète à haute voix» ou «récite ». Il s’adresse à l’humanité, le Prophète représentant l’humanité dans son rapport à Dieu. Iqra’! est donc une injonction universelle, une offre invitant chaque individu à s’éloigner de l’imperfection et à s’approcher de la vertu et du bonheur dans les deux mondes. Iqra ! est l’ordre de lire les signes que le Créateur a placés dans la création, afin que nous puissions comprendre quelque chose de Sa miséricorde, de Sa sagesse et de Sa puissance. C’est l’ordre d’apprendre, par l’expérience et la compréhension, le sens de Sa création. C’est aussi la certitude que la création peut être lue et qu’elle est intelligible. Mieux nous apprenons à la lire, mieux nous comprenons que le monde créé est un seul univers dont la beauté et l’harmonie reflètent la suprême Table Gardée (LXXXV : 22) sur laquelle, par décret divin, toutes choses sont inscrites.
Chaque chose créée ressemble à une plume qui écrit ses propres actions. Mais seule l’humanité peut lire ce qui est écrit. C’est pourquoi le Coran nous ordonne de lire plutôt que d’observer. Nous devons connaître la création, pas simplement en faire l’expérience comme les autres créatures.
La science est l’étude de la nature, du fonctionnement de l’univers, et de l’harmonie et des principes régissant toutes les interactions. Elle accumule les connaissances grâce à l’observation et la classification, l’explication et l’expérimentation. L’ordre équilibré, les liens étroits et délicats entre les choses et le dynamisme prolifique dans l’univers ne peuvent pas être attribués au hasard. La logique impose qu’un Être suprême ait créé et maintienne l’ensemble de ces éléments.
Chaque ordre ou système est conçu et planifié avant d’être établi. Pensez à la Table Gardée comme à un plan détaillé, et au Coran comme à son exposition verbale. Ainsi, l’univers peut être considéré comme une manifestation de ce plan final dans notre monde. Nous qui avons du mal à réaliser que la création n’est qu’un seul univers, comment pourrions-nous concevoir le plan puis le produire ? Notre devoir est de la lire et de chercher à comprendre la signification de toute chose. Et nous faisons cela par tâtonnement, car notre seul moyen d’apprendre.
Quelle sorte de savoir essayons-nous d’acquérir ? il existe plusieurs types de savoir et de compréhension : ceux basés sur l’observation, intérieure (savoir général) ou extérieure (description et mesures), l’application de la compréhension de son environnement (technologie) ou de la compréhension spirituelle (méditation et adoration, lesquels conduisent à la sagesse), l’apprentissage et l’enseignement, par soi-même ou par le biais d’autrui, la croyance de l’élève ou de l’enseignant à l’indépendance de l’action ou de l’être, et de la soumission confiante du croyant à son Créateur.
Une telle diversité se produit de façon adjacente et continue, car l’univers contient certaines lois et certains principes causaux qui conditionnent tous les êtres et les actions. Ces lois et principes causaux y sont placés par le Créateur, qui gouverne et maintient leur fonctionnement harmonieux. Citons-en quelques-uns :
- un mouvement de l’unité vers la multiplicité, de la simplicité vers la complexité ;
- l’existence (dans la multiplicité) d’éléments similaires, différents ou opposés ;
- un équilibre dynamique et durable parmi la multiplicité ;
- la succession ou l’alternance, le transfert des propriétés, de la vigueur, de la puissance ou de la connaissance de l’un à l’autre ;
- l’acquisition, la perte et la ré-acquisition, ou l’ap- prentissage, l’oubli et le réapprentissage ;
- l’effort et la persévérance, ou l’énergie et l’engagement ;
- la décomposition et la recomposition, ou l’analyse et la synthèse ;
- l’inspiration qui dévoile et révèle, ou l’intuition qui pénètre et éclaircit.
L’humanité étant sujette à ces conditions ainsi qu’à d’autres, les gens s’avèrent très différents à tous points de vue. Or ces différences et ces distinctions naturelles étant dans un équilibre dynamique et prolifique, les gens ont des conceptions et des approches différentes (et changeantes) sur des sujets comme la science et la foi. Du fait de cette diversité, des enseignements perdus de vue pendant un temps – y compris ceux du Prophète –, se voient un jour rappelés et ré-enseignés. Dans un contexte de forte croissance démographique et de grande diversité à l’échelle mondiale, la perte des traditions et de l’histoire, ainsi que la fragmentation constituent des phénomènes naturels. Or tout cela sera réparé, car ce processus s’est produit maintes fois dans le passé et se reproduira encore dans le futur. Des Écritures saintes révélées, des prophètes et des lois furent envoyées successivement, en partie pour garantir ce processus. Le Prophète Mohammed fut béni d’un caractère qui allie harmonieusement l’excellence distinctive de chacun des Prophètes précédents. En lui se retrouvaient la sagesse et la connaissance spirituelle les plus profondes, la volonté de faire évoluer et d’ordonner les affaires collectives, d’inspirer le cœur des hommes et d’orienter leur soif spirituelle, de cicatriser les différends entre les gens et de parvenir à une réconciliation durable. Il a montré l’équilibre idéal, aussi bien dans les affaires individuelles que collectives, entre les exigences de justice et de compassion. Sa vie fut pleine de souffrance, de tolérance, de constance même en cas de défaite, et de soulagement, de succès et de victoire. Son style d’expression était toujours concis, approprié, mémorable et parfait. Avec le Coran, il était la source d’une renaissance spirituelle et d’une grande et durable civilisation.
C’est pourquoi répondre à iqra’ ! implique des responsabilités et un degré d’épreuve et d’efforts intérieurs et extérieurs plus grands pour les musulmans que pour les membres des autres religions. Cette grande épreuve est le moyen d’atteindre la grâce et l’honneur, car elle permet une harmonie plus profonde entre les différentes vertus chez chaque musulman comme au sein de la communauté.
Les récentes découvertes scientifiques ont clarifié certains versets coraniques. De telles avancées dans la connaissance se produisent progressivement, à mesure que l’univers suit le cours qui lui a été décrété et selon le degré de compréhension qui nous a été assigné. Nous devons reconnaître et féliciter les chercheurs et les scientifiques pour leurs efforts et leurs réussites, mais ces développements ne doivent pas nous pousser à l’ingratitude et à l’insolence (ces racines de l’incroyance). Au contraire, nous devons réaffirmer ce principe que pour pouvoir être guidés dans notre quête de la connaissance et dans l’usage fait de ses applications, nous devons être soumis au Créateur. Nous ne devons pas nous déifier, autrement nous serions abandonnés et laissés à la merci de la volonté humaine devenue juge absolu de l’ensemble de nos affaires.
Si tel était le cas en effet, la recherche et les réussites scientifiques seraient entre les mains de quelques-uns, qui chercheraient à les utiliser pour servir leurs propres intérêts, qui sont égoïstes et passagers. La science deviendrait une arme contre la religion, une servante impuissante des idéologies égoïstes et souvent matérialistes et athées. Le résultat final pourrait être une dégradation irréparable de la qualité de la vie individuelle et collective. Nous voyons autour de nous que l’application des nouvelles technologies rend les gens de plus en plus impatients, arrogants, irresponsables et impitoyables. Certains prétendent même n’être responsables qu’envers eux-mêmes, comme s’ils s’étaient créés eux-mêmes ! Mais leurs vies demeurent remplies de malheur, de stress, d’angoisse, de besoins insatisfaits et de liberté illusoire.
Le rythme même du progrès scientifique actuel a transformé́ les hommes et la société en laboratoires d’expérimentation sans connaissance certaine des conséquences ou du résultat final. Pour parer à une telle chose, nous devons voir que l’injonction divine iqra’ ! est associée à la méditation, afin que nous réapprenions à lire consciemment et que nous puissions ainsi parvenir à la compréhension et à la sagesse véritables.
Si nous arrivons à faire cela, nous pourrons délivrer la science de la futilité et du formalisme exsangue dans lesquelles elle se trouve prise, et l’aider à clarifier ses fondements philosophiques comme sa pertinence sociale et morale. Nous pourrons également indiquer la véritable étendue de la perception, de la raison et de l’intuition humaines, et informer les gens de leur équilibre et de leur emploi les plus justes. Alors, ceux qui étudient consciemment la création liront ses signes avec le sérieux et l’humilité que l’on témoigne aux choses sacrées, acquérant un savoir civilisateur, source de progrès et de prospérité pour l’humanité.
Que nous soyons censés lire de cette manière et à cette fin ne fait aucun doute. La première chose créée fut le calame qui sert à écrire, et le premier mot de la Révélation fut iqra’. Mais lire de cette manière exige que nos facultés intérieures et extérieures soient alertes et harmonieusement dirigées vers les événements. Car un quelconque défaut dans nos facultés intérieures affecte le fonctionnement des autres facultés.
En se référant à un malaise de l’âme, le Coran parle d’aveuglement, de surdité et de mutisme. Les signes du Créateur sont d’abord « lus » avec les yeux. Les premiers sons de la Révélation sont « entendus » avec les oreilles, qui les transmettent alors à la faculté de compréhension. Tout ce qui est vu et entendu est exposé, interprété et communiqué par la langue, de sorte que la compréhen- sion puisse être approfondie.
Si la vie spirituelle d’un individu est pauvre, il ne pourra voir, entendre ou émettre des sons que pour ce qui affecte sa survie ou ses plaisirs immédiats. La lecture des signes lui sera impossible, car il ne verra que des corps et des surfaces mécaniquement reliés, et son esprit se concentrera sur les règles et les lois qui lui permettront de les contrôler. À mesure que sa vie spirituelle s’atrophie, la méditation et la compassion seront remplacées par la méchanceté, la trivialité et la barbarie. Abandonnés à eux-mêmes, de tels individus ne pourront maîtriser ni leurs besoins immédiats et leurs plaisirs, ni leur insécurité, leur angoisse et leur mécontentement constants. En vérité, ils sont aveugles, sourds et muets, et pour eux l’univers n’est guère plus qu’une prison étroite.