Qu’y a-t-il dans un lieu particulier qui suscite le lien entre une personne et un endroit, entre l’âme et la ville ?
Dans cet article
« Il ne prononce pas une parole sans avoir auprès de lui un observateur prêt à l’enregistrer » (50 :18).
Le silence accompagné de l’auto-surveillance, en présence de ceux qui ont atteint le terme du cheminement et qui ont été favorisés de la compagnie de Dieu, est également mis en valeur.
Ce silence des gens du cœur, capables de reconnaître les personnes de véritable mérite et valeur, signifie respect à la fois pour les cœurs dans lesquels descendent les inspirations divines, et pour Celui qui a gratifié ces cœurs de Sa satisfaction.
Définition et sens spirituel
Signifiant littéralement s’abstenir de parler et garder le silence, samt est utilisé par les soufis pour désigner le fait de se taire ou de préférer le silence dans la maîtrise de soi, afin d’éviter les paroles inutiles ou nuisibles que l’on pourrait proférer en parlant. Conscient de l’avertissement divin : « Il ne prononce pas une parole sans avoir auprès de lui un observateur prêt à l’enregistrer » (50 :18), on ne doit parler qu’en cas de nécessité et uniquement pour rechercher l’agrément de Dieu, en prononçant des paroles qui Lui sont agréables.
Le Prophète Muhammad (paix et bénédictions sur lui) a dit : « Sois soit bienveillant dans ta parole, soit silencieux » [1], définissant ainsi clairement le principe du samt. Il a aussi dit : « Que ta parole soit sagesse, et ton silence réflexion » [2].
Les dangers de trop parler
Parler excessivement, en particulier dire des paroles vaines, a toujours été condamné et considéré comme un péché menant à la perdition. Ceux qui progressent sur la voie spirituelle ont toujours été avertis d’éviter les paroles inutiles.
La parole attribuée au calife ‘Omar (qu’Allah soit satisfait de lui) confirme ce point ainsi :
« Celui qui parle beaucoup, se trompe beaucoup » [3]
Silence, une richesse spirituelle
Les ouvrages de morale comme les traités de soufisme ont étudié et expliqué l’idée du silence, chacun selon sa perspective, lui accordant une grande importance en le considérant comme une richesse pour l’initié, un trésor secret pour ceux qui ont atteint le terme du cheminement, et un signe de bonnes manières pour tout croyant.
Cela ne signifie pas qu’un croyant doive garder le silence en toute circonstance. Il doit parler pour conseiller, promouvoir le bien et interdire le mal, enseigner et guider, écarter ce qui est nuisible et encourager ce qui est utile. Notre religion nous ordonne de dire ce qui est nécessaire pour soutenir et établir la vérité et la justice, afin que chacun reçoive son dû, et nous interdit de nous taire dans ces cas.
On peut dire que, tout autant qu’il est condamnable de parler sans rechercher l’agrément de Dieu et dans un but illégitime, il est tout aussi condamnable de se taire lorsqu’il faut parler. Ainsi, bien que le silence soit généralement approuvé et conseillé, parler est parfois plus louable que se taire. Le silence, en d’autres termes n’est pas toujours d’or : il est parfois d’argent. Il est d’une grande importance de savoir quand et où se taire, et quand et où parler.
Dans une tradition prophétique, celui qui se tait là où le droit et la justice sont bafoués, et où la vérité est profanée, est qualifié de « démon muet » ; tandis que ceux qui prononcent des paroles fausses ou inutiles sont considérés comme les amis et traducteurs de Satan.
Le silence comme respect et éducation spirituelle
C’est un comportement éthique et la marque de la connaissance de sa place, dans le « champ de la pensée et de la parole », que de laisser la parole à ceux qui doivent parler, tandis que ceux dont la parole n’apporte rien devraient rester silencieux. À ce propos, il a été dit :
Si ta marchandise est de cuivre, ô frère,
ne la propose pas à la vente sur le marché.
Laisse le marché à ceux qui vendent des bijoux.
Se taire en présence de personnes dotées d’états spirituels profonds et de sagesse manifeste de bonnes manières et traduit le respect dû à ces états et à cette sagesse. À ce sujet, le Shaykhu’l-Islam Yahya Efendi [4] dit :
Écoute la parole des gens d’états spirituels profonds.
Ne compare pas leur parole aux autres discours.
Tu le sais, ô prédicateur, chaque parole diffère des autres.
Le silence accompagné de l’auto-surveillance, en présence de ceux qui ont atteint le terme du cheminement et qui ont été favorisés par la compagnie de Dieu, est aussi souligné. Ce silence des gens du cœur, capables de reconnaître les personnes de véritable valeur, signifie respect pour les cœurs dans lesquels descendent les inspirations divines, et pour Celui qui les a comblés de Sa satisfaction. Ils gardent le silence quand il le faut, et préparent le terrain pour que soufflent les brises d’inspirations, dressant leurs tables non pour les biens terrestres, mais pour les fruits toujours frais du Paradis.
Quand le silence devient langage
Il arrive parfois que la question à discuter soit si profonde qu’elle dépasse notre horizon de perception, au point que nous devons nous taire et inviter les autres au silence. Des paroles comme :
« Inutile d’exprimer notre besoin, car l’état où nous sommes dit tout »,
ou la prière silencieuse :
« Vois dans quel état misérable nous sommes, et ne nous abandonne pas ! »
sont les voix d’un tel silence. Jalâluddîn Rûmî y invite ainsi :
Regarde mon visage pâle, mais ne me dis rien !
Vois mes innombrables douleurs, mais pour l’amour de Dieu,
ne me dis rien !
Regarde mon cœur noyé de sang,
et mes larmes qui coulent comme un ruisseau !
Mais ignore tout ce que tu vois,
et ne demande ni comment ni pourquoi !
Trois degrés de silence
- Les gens ordinaires maîtrisent leur langue et se taisent seulement physiquement.
- Ceux qui ont une certaine connaissance de Dieu maîtrisent à la fois leur langue et leur cœur, expérimentant ainsi l’auto-surveillance dans le silence.
- Quant aux amoureux de Dieu, ils gardent leur amour et leur désir au-dedans d’eux-mêmes, représentant le silence de la fidélité.
Les premiers sont préservés des erreurs de la langue et se protègent du blâme. Les seconds reçoivent, en plus de ce que le silence procure en soi, les dons spirituels issus de la réflexion et de l’auto-surveillance. Quant aux troisièmes, il est dit dans ce distique :
Tu dis que tu es un amant, alors ne soupire pas sous l’épreuve de l’amour !
Ne fais pas connaître ton tourment aux autres par tes soupirs !
Ainsi, ils savent garder leurs secrets dans le silence et donnent l’exemple d’une fidélité profonde.
Invocation finale
Ô Dieu, fais de nous Tes serviteurs sincères (dans la foi et la pratique de la religion), et pourvus de sincérité ; et accorde bénédictions et paix à notre maître Muhammad, le chef de ceux qui possèdent la sincérité, ainsi qu’à sa Famille et à ses Compagnons, qui T’aiment et que Tu aimes.
Notes
- al-Bukhârî, Adab 31 ; Muslim, Imân 74.
- al-Ghazâlî, Ihyâ’ ‘Ulûm ad-Dîn, 1 : 3 ; 2 :228.
- at-Tabarânî, al-Mu‘jamu’l-Awsat, 2 :370 ; al-Bayhaqî, Shu‘abu’l-Imân, 4 :257.
- Shaykhu’l-Islam Yahya Efendi (1553–1644) fut l’un des plus célèbres Shaykhu’l-Islam de l’Empire ottoman. La charge de Shaykhu’l-Islam était la plus haute autorité des affaires religieuses. Yahya Efendi était aussi un poète réputé.

