Tushar A. Gandhi
« Seul celui qui ne perd jamais espoir peut être un leader. » Bapu Ke Ashirwad
Quelle définition plus juste et plus simple d’un leader pourrait-elle être ? Bapu – plus connu sous le nom de Mohandas Gandhi – croyait en cette affirmation et l’incarnait. Son espoir de changer la société ne s’est jamais affaibli, même après avoir été éjecté d’un train à la gare de Pietermaritzburg, en Afrique du Sud. Il n’a pas perdu espoir après les violences des Satyagrahis à Chauri Chaura, lors du premier mouvement de désobéissance civile en 1920, qu’il suspendit malgré le fait que la plupart de ses collègues se sentaient proche de remporter la victoire. Seul Bapu était convaincu de pouvoir suspendre le mouvement et de le relancer plus tard, lorsqu’il serait plus assuré de la préparation et de la discipline de son peuple.
Il est facile pour les dirigeants de devenir les otages de leurs partisans, surtout s’ils craignent les réactions négatives qui pourraient résulter de leurs remontrances ou critiques. Les mouvements et protestations peuvent échapper au contrôle d’un dirigeant et dégénérer en chaos et en violence. Ce manque de contrôle et de discipline est l’opposé du leadership. Un leader est celui qui a la capacité de guider les actions de ses partisans, en veillant à ce qu’ils ne violent pas ses principes : il ne doit pas céder au populisme. Bapu a fait preuve de cette capacité tout au long de sa vie, tant en tant qu’entité publique que dans sa vie religieuse (ashram).
Bapu fonda un ashram à Ahmedabad, en Inde, en 1915. Il pratiqua lui-même de nombreux rituels de l’ashram et en fit une pratique quotidienne, que les ashramites observèrent et imitèrent. Il développa ensuite un système de vertus qu’il appela les « 11 vœux » (Ekadashi Vrat) :
- Ahimsa (Non-violence)
- Satya (Vérité)
- Asteya (Ne pas voler)
- Bhramhcharya (Célibat ou Fidélité)
- Aparigraha (Non-possession)
- Sharira-Shrama (Travail physique)
- Aswada (Contrôle du palais)
- Sarvatra Bhayavarjana (Intrépidité)
- Sarva Dharma Samanatva (Respect de toutes les religions)
- Swadeshi (Utiliser des produits locaux)
- Sparshabhavana (Abolition de l’intouchabilité).
Il vivait selon ces principes sans ne les prêcher ni en faire un show. « Une once de pratique vaut mieux qu’une tonne de sermons », croyait Bapu, et il était donc facile pour ses disciples de le croire et de l’imiter. Aujourd’hui, les dirigeants prospèrent en prêchant et en semant la confusion chez leurs fidèles. Ils désapprouvent et découragent également l’habitude de poser des questions ou de laisser leurs disciples exprimer leur mécontentement ou leur désaccord.
Lorsque Bapu annonça le prochain mouvement de non-coopération, il déclara qu’il marcherait de Sabarmati à Dandi, soit une distance de 557 kilomètres, et qu’il ramasserait une poignée de sel sur le rivage, déclarant ainsi avoir brisé le monopole draconien du sel qui nuisait tant à l’Inde. Le régime impérial britannique avait imposé une taxe barbare de 3 500 % sur la production et la consommation de sel local. Cet acte de défiance visait à contribuer à l’indépendance de l’Inde ; cependant, de nombreux hauts dirigeants du Congrès national indien (INC) n’étaient pas convaincus et s’opposèrent à sa proposition. Sardar Patel, un haut dirigeant de l’INC, fut l’un de ceux qui s’opposèrent à sa proposition et en contestèrent l’absurdité. Bapu l’écouta patiemment et finit par convaincre Sardar, qui prit alors la responsabilité d’organiser la manifestation. C’est Sardar qui fixa l’itinéraire de la marche et diffusa le message du Satyagraha du sel (forme de résistance non violente). Sardar fut le premier dirigeant indien à être arrêté et emprisonné, avant même que Bapu ne commence la Marche du Sel, ce qui explique pourquoi Sardar Saheb était absent pendant que Bapu marchait vers Dandi.
Motilal Nehru, un autre haut dirigeant de l’INC, a exprimé son désaccord. Il a écrit une lettre de vingt-deux pages à Bapu, expliquant point par point pourquoi la mesure proposée par Bapu échouerait et mettrait en péril son avenir à la tête du pays ; il a également expliqué comment l’INC perdrait la confiance et le soutien du peuple. Dans sa réponse, Bapu a écrit :
« Adarniya Motilalji, Kar Ke Dekhien – Motilalji Respecté, tentez la chance, s’il vous plait ! »
N’importe quel autre chef aurait pris une réponse aussi courte comme une insulte et rejeté le leadership de Bapu; cependant, Motilalji a accepté la décision de Bapu. Après que Bapu ait symboliquement violé la loi du sel à Dandi et demandé au peuple de suivre, Motilalji a déclaré qu’il aiderait à briser la loi du sel en dirigeant son propre satyagraha dans la ville d’Allhabad.
À ce moment-là, le vice-roi avait ordonné que tous les satyagrahas soient écrasés par tous les moyens et que leurs dirigeants soient immédiatement arrêtés, de sorte que le mouvement devienne sans chef et se retrouve au bord du gouffre. Après avoir annoncé son intention de faire du satyagraha, lorsque Motilalji est arrivé chez lui, le commissaire de police l’attendait avec un mandat d’arrêt. La dernière chose que Motilalji a faite avant d’aller en prison était d’envoyer un télégramme à Bapu disant ce qui suit :
« Adarniya Gandhiji, Karne se Pehle hi Dekhliya! – Respecté Gandhiji, j’ai compris son pouvoir avant même de tenter ma chance ! »
C’était la confiance d’un vrai leader et telle était son honnêteté et son humilité que ses subordonnés et ses contemporains avaient la liberté de remettre en question ses décisions et de chercher à les convaincre avant qu’ils n’obéissent. Cela illustre aussi le fait qu’un grand dirigeant avait la volonté et la confiance de se débrouiller seul sans devenir l’otage de l’opposition de ceux qui étaient en désaccord avec lui ou défiaient sa décision. Comme l’a écrit Gurudev :
« Joki tor haak shunee koi na aashe tomi ekla Chalo Re […] : Quand personne n’écoute ton appel, ô malheureux, marche seul. »
Bapu a eu le courage de marcher sur un chemin solitaire. C’est la marque d’un grand dirigeant.
Bapu n’a jamais aspiré à devenir un leader. Son ambition a toujours été de servir le peuple et la cause au mieux de ses capacités, et l’honnêteté de sa méthode était toujours d’une importance primordiale, encore plus que son objectif désiré. Cela le distingue de la majorité des autres dirigeants.