Vaidehi Bhardwaj
Les réseaux sociaux nous montrent que nous interagissons plus que jamais : nous nous faisons plus d’amis, nous apprenons plus et nous produisons plus.
Dans cet article
- Nous négligeons les petits moments de convivialité et de bienveillance qui étaient autrefois essentiels au quotidien, qu’il s’agisse de discuter avec un voisin, d’échanger des plaisanteries avec un caissier ou même de remercier un employé de magasin qui vous a aidé à trouver ce que vous cherchiez.
- Les réseaux sociaux ont commencé à occulter même les espaces sociaux les plus importants : au lieu de rencontrer un ami en personne ou d’entendre sa voix au téléphone, on peut simplement lui envoyer un SMS.
Amazon Fresh, Uber Eats, Grubhub, Doordash, Instacart, caisses automatiques et réseaux sociaux. Dans le monde d’aujourd’hui, vivre sans la moindre interaction réelle avec qui que ce soit devient la norme. Avec de nouvelles tendances comme le télétravail et la peur persistante des grands rassemblements, toujours présente dans de nombreuses régions du monde, la récente pandémie n’a fait qu’exacerber cet isolement.
J’ai récemment relu La Métamorphose de Franz Kafka, et les similitudes entre la vie de Gregor Samsa et la vie moderne sont troublantes. Après sa transformation en Ungeziefer (insecte monstrueux), Gregor est confiné dans sa chambre – sa sœur lui apporte à manger et fait le ménage une fois par jour. Il ne parle à personne de sa famille. À la fin du roman, on le retrouve allongé dans la poussière et ses propres excréments, observant sa famille depuis le seuil de sa porte. Sa chambre est devenue un dépôt de toutes sortes de déchets, et son seul lien avec quelqu’un d’autre est une photo encadrée d’une femme, découpée dans un magazine, qu’il passe ses journées à regarder.
Tout bien considéré, est-ce vraiment si différent de ce que la plupart d’entre nous vivent aujourd’hui ?
Tout comme Gregor, nous négligeons les petits moments de contact humain et de gentillesse qui rythmaient autrefois notre quotidien – qu’il s’agisse de discuter avec un voisin, d’échanger des plaisanteries avec un caissier ou même de remercier un employé de magasin pour son aide. Les réseaux sociaux occultent jusqu’aux aspects les plus importants de la vie sociale : au lieu de rencontrer un ami en personne ou d’entendre sa voix au téléphone, il suffit de lui envoyer un SMS. Même pas, un simple « j’aime » sous une photo suffit à donner l’illusion d’une proximité.
Pas vraiment.
Le problème est encore plus profond : l’engagement malsain de Gregor envers son travail est, pour beaucoup d’entre nous, comparable à un regard dans un miroir. Dans une société plus que jamais axée sur la réussite et sur l’esprit de « travail acharné », nous vivons dans un brouillard d’hyper-obsession. Les joies simples des loisirs et des relations humaines sont négligées au profit de la réussite personnelle.
La volonté constante d’acquérir toujours plus, souvent au détriment de notre bien-être (et a fortiori de celui des autres), a fini par définir notre culture et a conduit à un rejet massif des relations interpersonnelles significatives, tant dans les loisirs que sur le lieu de travail.
En réalité, ce sont les petits moments de véritable connexion – être attiré par un cercle de bienveillance et d’empathie – qui comptent vraiment. L’empathie est comme un muscle, et sans pratique, elle se détériore. À mesure que l’empathie se raréfie dans notre quotidien, nous devenons moins aptes à l’exprimer.
Cette diminution de l’empathie entraîne non seulement des symptômes psychologiques négatifs, mais aussi toutes sortes de problèmes, de la polarisation partisane aux crimes violents.
Cependant, le plus néfaste de cette existence en autarcie est peut-être qu’elle est désormais vantée comme bénéfique. De grandes entreprises comme Amazon, mentionnée plus haut, vantent une nouvelle ère d’efficacité et de commodité pour leurs clients. Les réseaux sociaux nous montrent que nous interagissons plus que jamais : nous nous faisons plus d’amis, nous apprenons plus et nous produisons plus.
Pourtant, le fait demeure : les êtres humains sont des créatures essentiellement sociales, et sans véritable connexion, nous dépérissons. Tout comme Gregor, dans La Métamorphose, a subi les conséquences d’avoir d’abord négligé son « cercle d’humanité », puis d’en avoir été exclu, nous souffrirons aussi si nous ne remédions pas à cet isolement et à ce déficit d’empathie. En fin de compte, c’est précisément ce dont parle La Métamorphose de Kafka : l’importance des liens sociaux pour la préservation de notre humanité. Si nous ne subissons peut-être pas le sort insectoïde de Gregor Samsa, sans lien social, nous courons certainement le risque de devenir une société moins compréhensive, moins sensible, moins empathique et, en fin de compte, moins heureuse.

